EXAMEN - Le décès du locataire pose la question du devenir de son bail d'habitation. Contrairement à une idée reçue, le contrat de location ne disparaît pas avec le locataire et son décès peut entraîner la transmission de son bail sans l’accord du bailleur. Le propriétaire doit maîtriser ces règles pour bien gérer la situation : qui devient locataire du bien ? Qui règle les loyers ? Quelles sont les démarches à accomplir ? Par Maître Olivier Pontnau, notaire à Paris
La vie (contractuelle) continue… ou s’arrête
Principe général – L’article 1742 du Code civil énonce que le décès du locataire n’entraîne pas automatiquement la fin du bail : « Le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur ». Le principe est que le contrat se poursuit avec les héritiers du locataire décédé. En pratique, les héritiers procèdent fréquemment à sa résiliation s’ils n’en ont pas l’utilité.
Le cas particulier des locations d’habitation – Pour les locations de résidence principale, il existe une exception de taille à ce principe. L’article 14 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit la résiliation automatique du bail au décès du locataire sauf si certaines personnes de l’entourage du défunt souhaitent bénéficier du transfert du bail. Ainsi, le contrat de location prend fin automatiquement au décès si personne ne remplit les conditions exigées par la loi pour la reprise du bail. Le principe du Code civil est donc inversé : la règle générale devient l’extinction du bail et la poursuite n’est plus qu’une exception encadrée.
La loi énumère limitativement les bénéficiaires de ce droit à la reprise :
Ces personnes bénéficient d’un droit à la reprise du bail à leur nom, à condition d’effectuer certaines formalités. Il faut informer le bailleur du décès et de la volonté de continuer la location, de préférence par écrit. Le transfert est un droit si les conditions ci-dessus sont réunies.
Si une personne éligible reprend le bail, celui-ci se poursuit aux mêmes conditions qu’auparavant au nom du nouveau titulaire. Le bailleur ne peut pas exiger de modifier le contrat ou de signer un nouveau bail.
Conseil pratique : pour le bailleur, la première étape est de savoir s’il existe un ayant-droit et si ce dernier veut ou non poursuivre le bail. Dans l’affirmative, il faudra le considérer comme le nouveau locataire. Dans la négative, il faudra officialiser la fin de la location. Que faire si les proches ne sont pas intéressés par la reprise du bail ou ne répondent pas ? S’ils ne souhaitent pas reprendre le bail, il est prudent de leur faire signer une renonciation à ce droit même si leur silence a tendance à être interprété comme une renonciation. S’ils ne répondent pas, on peut leur adresser une sommation d’opter indiquant que l’absence de réponse sera considérée comme une renonciation.
Dans l’hypothèse où plusieurs bénéficiaires potentiels sont intéressés et n’arrivent pas à se mettre d’accord, le juge tranche en fonction des intérêts en présence.
NB : le droit au bail est indépendant du sort de la succession. Un héritier peut parfaitement renoncer à la succession tout en bénéficiant du transfert du bail s’il remplit les conditions de cohabitation.
Conjoint/partenaire pacsé : le super-pouvoir de la cotitularité
La loi donne une priorité au conjoint ou partenaire survivant sur le bail s’il a la qualité de cotitulaire uniquement.
Lorsque le logement constituait le domicile familial du couple, la loi présume que les mariés sont cotitulaires du bail même si un seul a signé le contrat initial.
En revanche, les partenaires doivent adresser conjointement une demande de reconnaissance de cotitularité au propriétaire. L’article 1751 du Code civil prévoit en effet que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l'un et à l'autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité ». Cet article ajoute qu’« en cas de décès d'un époux ou d'un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire survivant cotitulaire du bail dispose d'un droit exclusif sur celui-ci sauf s'il y renonce expressément ».
Les autres prétendants à la reprise du bail sont donc évincés. Les enfants du défunt, par exemple, ne pourront pas réclamer la transmission du bail tant que le conjoint survivant exerce son droit de reprise. La Cour de cassation l’a encore rappelé récemment dans un arrêt du 4 juillet 2024 : tant que le conjoint survivant n’a pas renoncé à son droit exclusif, aucun descendant ne peut prétendre au bail laissé par le défunt.
Il existe d’autres hypothèses où le conjoint survivant n’est pas cotitulaire du bail du vivant du locataire (par exemple, si le couple était marié mais vivait séparément ou si le bail portait sur une résidence secondaire du défunt. Le conjoint survivant n’est alors pas automatiquement titulaire du bail et doit manifester sa volonté de prendre le bail à son nom au même titre que les autres proches.
Que deviennent les dettes du locataire à son décès ?
Le décès d’un locataire soulève de nombreuses questions financières pour le bailleur. Qui va payer les loyers en cours ? Quid des éventuelles dettes locatives accumulées par le défunt ? Le bailleur peut-il réclamer des indemnités tant que le logement n’est pas libéré ?
Loyers impayés et arriérés au jour du décès
Si, au moment du décès, le locataire avait du retard de loyer ou de charges, ces sommes deviennent des dettes de la succession. Le bailleur est en droit de réclamer le paiement des loyers impayés auprès des héritiers du locataire décédé.
Il existe toutefois plusieurs garde-fous : d’abord, si les héritiers renoncent à la succession, ils ne doivent rien du tout. En ce cas, le bailleur devra éventuellement déclarer sa créance à la succession vacante en espérant un règlement sur l’actif du défunt.
Loyers futurs et indemnités d’occupation
Dès lors qu’un occupant reprend le bail, le nouveau locataire doit payer les loyers à partir du décès.
En revanche, si personne ne reprend le bail et que le contrat est résilié de plein droit à la date du décès, le bailleur a droit à une compensation financière tant que le logement reste occupé. Il s’agit d’une indemnité d’occupation équivalente au montant du loyer, au prorata du temps d’occupation postérieur au décès.
Si le bailleur bénéficiait d’une assurance loyers impayés, il conviendra de vérifier le contrat d’assurance et si ce dernier couvre cette hypothèse.
Conclusion
Le décès du locataire n’anéantit pas systématiquement le contrat de location : il peut se transmettre à certaines personnes ou s’éteindre avec le locataire si personne ne le reprend. Le conjoint survivant, en particulier, bénéficie d’un statut protecteur qui lui permet de conserver prioritairement le logement.